Les opérations de scission d’entreprises sont des démarches complexes qui requièrent une planification méticuleuse, notamment en ce qui concerne la date d’effet de l’opération. Il est courant que les entreprises parties à une telle opération conviennent, dans le cadre du traité de scission, que celle-ci prenne effet à une date antérieure à sa réalisation définitive. Cette pratique, appelée clause de rétroactivité, est souvent fixée au début de l’exercice en cours. L’utilité de cette clause réside dans sa capacité à faciliter la détermination des valeurs d’apport, et par conséquent, de la parité d’échange des parts entre les sociétés impliquées. En permettant une prise d’effet rétroactive, les entreprises peuvent ainsi mieux aligner les opérations comptables et fiscales avec l’exercice fiscal en cours, simplifiant la gestion administrative post-scission.
Sur le plan juridique, la mise en place d’une clause de rétroactivité doit être explicitement mentionnée et ne peut être présumée. Selon l’article L 236-4 du Code de commerce, la scission prend effet soit à la date d’immatriculation au registre du commerce des dernières sociétés nouvellement créées, soit à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération pour les scissions au profit de sociétés existantes. Toutefois, le traité peut spécifier une autre date, qui ne doit cependant pas être antérieure à la clôture du dernier exercice de la société scindée.
Il est important de noter que l’adoption d’une telle clause nécessite une réflexion approfondie quant à ses implications juridiques et fiscales. Le non-respect des conditions formelles et légales peut entraîner des complications significatives, tant sur le plan juridique que fiscal, remettant en question la validité de l’opération elle-même.
I) Étendue de la rétroactivité dans le temps
L’étendue de la rétroactivité dans le temps pour les opérations de scission ou d’apport soulève des questions juridiques et fiscales significatives qui nécessitent une attention particulière de la part des entreprises impliquées. En se fondant sur une jurisprudence établie par le Conseil d’État, plusieurs principes directeurs ont été posés pour encadrer ces pratiques.
A) Principes juridiques et fiscaux généraux
La décision du Conseil d’Etat (CE 12-7-1974 n° 81753) du 12 juillet 1974 a joué un rôle crucial en délimitant les conséquences fiscales des clauses de rétroactivité dans les traités d’apport. Le Conseil d’État y a affirmé que l’effet rétroactif d’une opération de scission ou d’apport ne peut pas servir à modifier les résultats déjà déclarés des exercices antérieurs à celui où l’opération est concrétisée. Cela établit un cadre dans lequel l’effet rétroactif ne peut pas remonter à une période antérieure à la date d’ouverture de l’exercice en cours de la société bénéficiaire lors de l’approbation de l’opération.
La décision du Conseil d’Etat (CE 26-5-1993 n°78156) a renforcé cette position en précisant que l’effet rétroactif fiscal ne peut pas être appliqué avant le début de l’exercice en cours de la société bénéficiaire à la date d’approbation définitive de l’opération. L’administration fiscale, par des directives spécifiques, a souligné que si la date d’effet de l’opération est fixée à une date antérieure à l’ouverture de l’exercice courant, la société scindée demeure imposable sur le résultat réalisé entre ces deux dates.
B) Application aux scissions au profit de sociétés nouvelles
Pour les scissions réalisées au profit de nouvelles sociétés, l’article L 236-4 du Code de commerce dispose initialement que l’effet fiscal de l’opération ne peut se réaliser avant l’immatriculation de ces nouvelles entités au registre du commerce. Cependant, cette position administrative a été contestée par des décisions du Conseil d’État, notamment celui du 29 juin 2011, qui a admis que les sociétés pouvaient, sous certaines conditions, donner un effet fiscal à l’opération à une date antérieure à l’acquisition de la personnalité morale par les sociétés bénéficiaires.
Cette décision indique que tant que l’opération de scission ne modifie pas le bilan de clôture de l’exercice précédent de la société scindée, l’effet fiscal peut être rétroactivement appliqué. Cela permet une certaine flexibilité, mais exige une grande prudence pour éviter toute répercussion négative qui pourrait affecter la validité de l’opération sous l’angle fiscal.
C) Considérations pratiques
Les entreprises doivent donc être très attentives lors de la rédaction des clauses de rétroactivité dans leurs traités de scission, en s’assurant que ces clauses sont en accord avec les principes juridiques et fiscaux établis. La consultation avec des experts en droit des affaires et en fiscalité est cruciale pour naviguer efficacement ces eaux réglementaires complexes. La mise en œuvre de ces clauses doit être soigneusement planifiée et documentée pour éviter des complications légales et fiscales post-opération.
II) Portée de la rétroactivité
Lors de la réalisation d’une scission d’entreprise, le traitement comptable et fiscal des résultats tant de la société scindée que des sociétés bénéficiaires des apports est d’une importance cruciale. Ce processus est régulé par des règles précises qui dictent comment les résultats sont calculés et déclarés pour chaque partie impliquée.
A) Résultat de la société scindée
Dans le cas où une scission est effectuée, la société scindée doit prendre en compte, pour la détermination de son résultat imposable, tous les produits et charges liés à l’exploitation des activités transférées. Cela couvre la période allant de l’ouverture de l’exercice fiscal où la scission est réalisée jusqu’à la date d’effet déterminée par les parties. Si les sociétés impliquées dans la scission synchronisent l’ouverture de leurs exercices fiscaux et fixent la date d’effet au premier jour de l’exercice fiscal en question, il est courant que la déclaration de résultats de la société scindée pour cet exercice indique « Néant », car toutes les opérations pertinentes sont attribuées aux sociétés bénéficiaires des apports.
B) Résultat des sociétés bénéficiaires des apports
Les sociétés qui reçoivent les apports doivent, quant à elles, inclure dans leur résultat imposable pour l’exercice de la scission tous les produits et charges issus de l’exploitation des activités acquises durant la période intercalaire. Cela signifie que si des pertes sont générées par les activités de la société scindée pendant cette période, elles peuvent être déduites du résultat des nouvelles sociétés issues de la scission.
La notion de « rétroactivité forte » adoptée par l’administration fiscale permet également la neutralisation des opérations inter-sociétés réalisées durant la période intercalaire concernant les activités transférées. Ces transactions sont considérées comme non avenues aux fins du calcul du résultat imposable. Toutefois, cette neutralisation ne s’applique pas aux autres opérations entre la société scindée et les sociétés bénéficiaires des apports qui ne concernent pas directement les activités apportées.
C) Délai de détention des titres reçus en échange de la scission
Enfin, dans les situations où l’opération de scission nécessite un agrément administratif, les associés de la société scindée sont souvent tenus de conserver les titres reçus en échange des apports pendant un délai minimum de trois ans. Ce délai commence à courir à partir de la date de réalisation définitive de la scission, indépendamment de toute date d’effet rétroactive qui pourrait avoir été convenue par les parties. Cette règle vise à assurer un certain engagement des associés dans la durabilité de l’opération de scission et à stabiliser les nouvelles structures.
Ces dispositions illustrent la complexité des scissions d’entreprises et l’importance d’une planification fiscale et comptable minutieuse pour garantir la conformité aux réglementations en vigueur et optimiser les résultats financiers des entités impliquées.
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Pour conclure, la complexité des scissions d’entreprises, avec leurs implications juridiques et fiscales, met en évidence la nécessité d’une expertise spécialisée. Afin d’assurer la conformité tout en optimisant les bénéfices fiscaux, il est essentiel de s’engager avec un commissaire à la fusion. Celui-ci apportera une connaissance approfondie, nécessaire pour une application correcte et stratégique des clauses de rétroactivité.