Lorsqu’il s’agit d’opérations de restructuration d’entreprises, notamment les scissions, le régime fiscal appliqué revêt une importance cruciale tant pour la société scindée que pour les sociétés bénéficiaires. En France, le cadre juridique régissant ces opérations est détaillé, notamment dans l’article 210 B du Code Général des Impôts (CGI), qui établit les conditions d’application du régime spécial en matière d’impôt sur les sociétés lors d’une scission. Ce régime fiscal de faveur a été conçu pour faciliter les restructurations d’entreprises tout en veillant à encadrer strictement les conditions de son application afin de prévenir les abus potentiels.
I) Opérations de scission
Selon l’article 210-0 A, I-2° du CGI, une scission se définit comme la transmission de l’ensemble du patrimoine d’une société à plusieurs autres, suivie de la dissolution de la société initiale sans liquidation. Cette opération entraîne l’attribution aux associés de la société scindée de titres des sociétés bénéficiaires, proportionnellement à leurs droits dans le capital, pouvant s’accompagner d’une soulte ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale de ces titres. Ce mécanisme permet une réorganisation flexible des activités économiques tout en préservant les intérêts des associés.
La législation française reconnaît également l’applicabilité du régime spécial aux scissions transfrontalières, sous réserve du respect des conditions définies par la loi fiscale. Cette ouverture s’inscrit dans le cadre de la directive européenne sur les fusions transfrontalières, facilitant ainsi les restructurations à l’échelle de l’Union Européenne. Néanmoins, l’article 210-0 A, II du CGI apporte une limitation importante : les opérations impliquant des entités situées dans des territoires non coopératifs sur le plan fiscal sont exclues du bénéfice du régime spécial, sauf existence d’accords fiscaux spécifiques avec la France.
Conditions d’application du régime spécial
L’application du régime spécial est subordonnée à plusieurs conditions rigoureuses. Parmi ces conditions, l’une des plus notables est l’obligation de transférer au moins une branche complète d’activité à chaque société bénéficiaire. La notion de branche complète d’activité est centrale : elle désigne un ensemble d’actifs et de passifs formant une unité économique autonome, capable de fonctionner par ses propres moyens. Cette exigence garantit que les scissions facilitent la réorganisation productive des activités et ne sont pas utilisées à des fins principalement fiscales.
La législation impose également que toutes les sociétés impliquées dans la scission prennent des engagements spécifiques et les respectent pour bénéficier du régime de faveur. Ces engagements peuvent concerner, par exemple, la conservation des titres reçus ou l’activité économique des branches transférées.
Procédures de contrôle
Pour prévenir les abus, le CGI (III de l’article 210-0 A) dispose que le régime spécial n’est pas applicable aux opérations ayant pour principal objectif la fraude ou l’évasion fiscales. De plus, les entreprises peuvent demander à l’administration fiscale de confirmer, via une procédure de rescrit, que l’opération projetée présente des objectifs économiques valables et n’est donc pas exclue du régime spécial. Cette démarche permet de sécuriser les opérations en amont et de s’assurer de leur conformité avec les exigences légales.
II) Impacts de la Loi n°2017-1775 sur les obligations de conservation des titres
Avant le tournant législatif du 1er janvier 2018, marqué par l’adoption de la loi n°2017-1775 du 28 décembre 2017, les opérations de scission étaient soumises à des règles strictes concernant l’engagement de conservation des titres par les associés des sociétés scindées. Cet engagement, prévu par l’article 210 B, 1-5e alinéa du Code Général des Impôts (CGI), imposait aux associés de conserver pendant trois ans les titres reçus en contrepartie des apports réalisés dans le cadre de la scission. L’objectif principal de cette obligation résidait dans la volonté d’assurer une participation durable des associés aux résultats des activités transférées, traduisant une approche prudente du législateur vis-à-vis de la stabilité des opérations de restructuration et de la pérennité des engagements économiques sous-jacents.
L’obligation de conservation des titres pendant trois ans constituait un mécanisme de sauvegarde destiné à limiter les opérations de restructuration purement spéculatives, en s’assurant que les associés des sociétés scindées maintiennent un intérêt économique à long terme dans le succès des sociétés bénéficiaires. Cette mesure visait à renforcer la légitimité et l’intégrité des scissions d’entreprises en alignant les intérêts des associés sur ceux des entreprises résultant de la scission.
L’introduction de la loi du 28 décembre 2017 a marqué une évolution significative dans le régime des scissions en supprimant l’obligation de conservation des titres pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2018. Cette réforme a été accueillie favorablement par le monde des affaires, car elle offrait une plus grande flexibilité dans la gestion post-scission des titres reçus, en réduisant les contraintes sur les associés et en facilitant potentiellement les restructurations ultérieures.
Pour les scissions effectuées avant cette date, l’administration fiscale a adopté une position pragmatique, reconnaissant implicitement les changements législatifs en admettant, pour les apports partiels d’actif placés de plein droit sous le régime spécial, la possibilité de s’affranchir de l’engagement de conservation. Toutefois, cette tolérance administrative n’a pas été formellement étendue aux scissions, laissant planer une incertitude pour les associés des sociétés scindées avant 2018 quant aux conséquences d’une cession prématurée de leurs titres.
Malgré cette absence de clarification formelle, il semble raisonnable d’espérer que l’administration fiscale adopte une approche conciliante, similaire à celle retenue pour les apports partiels d’actif, vis-à-vis des associés qui se seraient départis de leurs titres avant le terme de l’engagement de conservation dans le cadre de restructurations ultérieures. Cette attente s’appuie sur le principe de cohérence et l’évolution générale de la législation vers une plus grande souplesse dans les opérations de restructuration d’entreprises.
Il est cependant recommandé aux entreprises et aux associés concernés par des scissions antérieures à 2018 de procéder à une analyse détaillée de leur situation spécifique et, le cas échéant, de solliciter un avis formel de l’administration fiscale ou de consulter des conseillers fiscaux spécialisés. Cette démarche permettrait de sécuriser leur position et d’anticiper toute question relative au régime fiscal applicable, minimisant ainsi les risques de remise en cause ultérieure du régime de faveur dont ils ont bénéficié.
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Les changements apportés par la loi du 28 décembre 2017, notamment la suppression de l’obligation de conservation des titres pour certaines opérations, introduisent à la fois des opportunités et des complexités supplémentaires.
Un commissaire à la fusion, avec sa connaissance approfondie du cadre juridique et fiscal des scissions, se révèle être un conseiller inestimable. Il peut offrir des stratégies sur mesure, garantissant non seulement que l’opération soit menée dans le respect des dernières obligations légales mais aussi qu’elle soit alignée avec les objectifs stratégiques de l’entreprise. Pour les entreprises qui traversent ces processus complexes ou envisagent de le faire, le recours à un tel spécialiste est une démarche judicieuse pour naviguer avec assurance dans le paysage des restructurations d’entreprises.