I ) Caractéristiques du processus de fusion
La fusion d’entreprises est un processus où deux ou plusieurs sociétés s’unissent pour former une seule entité. Elle peut se réaliser soit par la création d’une nouvelle société, soit par l’absorption d’une ou plusieurs sociétés par une autre. Ce dernier cas étant le plus fréquent, il sera le focus principal de notre analyse, bien que les principes énoncés s’appliquent également aux autres formes de fusion.
Juridiquement, la fusion présente trois caractéristiques principales :
- Transmission universelle du patrimoine : La société absorbante reçoit l’ensemble des droits, biens et obligations de la société absorbée, incluant son passif, conformément au contrat de fusion.
- Dissolution immédiate de la société absorbée : La transmission intégrale du patrimoine entraîne la dissolution de la société absorbée sans nécessité de liquidation.
- Échange de droits sociaux : Les associés de la société absorbée reçoivent des actions ou parts de la société absorbante, avec éventuellement une soulte en espèces limitée à 10 % de la valeur nominale des titres attribués.
Les fusions transfrontalières suivent les mêmes principes, avec quelques spécificités, notamment la possibilité d’une soulte en espèces supérieure à 10 % dans certains cas, selon la législation de l’État membre concerné.
Enfin, certaines opérations de confusion de patrimoine, où une société s’approprie les actifs et passifs d’une filiale dont elle détient tous les droits sociaux, sont assimilées fiscalement à des fusions.
II) Législation applicable aux fusions de sociétés
En l’absence de mesures spécifiques, une fusion entraînerait normalement les conséquences fiscales d’une cessation d’entreprise. Cela inclurait l’imposition immédiate des bénéfices non taxés de la société absorbée, l’exigibilité des droits d’enregistrement liés à la dissolution et au partage, ainsi que l’imposition du boni de fusion comme revenus distribués aux associés. Cependant, pour favoriser les restructurations d’entreprises, le législateur a instauré un régime fiscal spécial pour les fusions, rendant la société absorbante la continuatrice de la société absorbée.
Ce régime spécial, mis en place par la loi du 12 juillet 1965 et intégré dans le Code général des impôts, couvre divers aspects tels que l’impôt sur les sociétés, l’impôt de distribution, les plus-values d’échange des titres, et les droits d’enregistrement. Ce régime, devenu permanent, a connu plusieurs modifications importantes, y compris l’adaptation aux normes de l’UE, l’élargissement du champ d’application, l’alignement sur les normes comptables depuis 2005, et des assouplissements depuis 2018 en accord avec la jurisprudence européenne.
Des mesures spécifiques ont été adoptées pour intégrer les directives européennes sur les fusions et opérations assimilées, et pour préciser les caractéristiques des opérations concernées par le régime spécial, notamment pour les restructurations transfrontalières. Les confusions de patrimoine, prévues par l’article 1844-5 du Code civil, sont également incluses dans ce régime spécial.
Le régime fiscal des fusions a également été adapté pour tenir compte des règles comptables, notamment concernant le traitement du mali de fusion et le transfert des déficits. Des aménagements récents, comme l’assouplissement de certaines conditions et l’introduction d’une nouvelle procédure de rescrit, ont été apportés pour faciliter les restructurations sous un régime de neutralité fiscale.
En plus de ces réformes majeures, le régime a subi divers ajustements législatifs pour répondre aux évolutions du contexte économique et juridique. Ces ajustements concernent notamment l’exigibilité des droits proportionnels, la période de réintégration des plus-values, et les conditions de transfert des déficits.
III) Facteurs clés pour choisir entre le régime fiscal spécial et le régime de droit commun des fusions
Le choix du régime fiscal pour une fusion, prévu dans les articles 210 A et suivants du CGI, est facultatif. Même si les conditions du régime spécial sont remplies, les sociétés peuvent opter pour le régime de droit commun en matière d’impôt sur les sociétés. Ce choix, qui relève de la gestion de l’entreprise, entraîne des conséquences pour les sociétés absorbées et absorbantes, ainsi que des engagements pour cette dernière. En l’absence d’indication spécifique, on présume que les parties choisissent le régime de droit commun.
Si les entreprises optent pour le régime spécial, elles doivent appliquer toutes les dispositions associées sans pouvoir renoncer aux moins avantageuses. Chaque opération de fusion doit respecter le régime fiscal choisi individuellement.
Les règles de transcription des apports et les conditions d’imputation des déficits reportables sont des facteurs importants dans ce choix. Par exemple, une fusion entre deux sociétés sous contrôle commun, transcrit aux valeurs nettes comptables, peut inciter à choisir le régime de faveur, surtout si une société déficitaire absorbe une société bénéficiaire, car il n’y aura pas d’imposition immédiate des plus-values latentes. Cependant, si l’absorbante ne peut pas utiliser les déficits de l’absorbée, le régime de droit commun pourrait être préférable, malgré la mesure de plafonnement des pertes prévue à l’article 209, I du CGI.
L’adoption du régime spécial permet aussi de transférer les droits de déduction des charges financières et des déficits reportables non utilisés de la société absorbée, sous réserve d’agrément. Lorsque la fusion est transcrite aux valeurs réelles, le régime spécial est généralement avantageux si les deux sociétés sont bénéficiaires.
D’autres facteurs, comme la présence de moins-values à long terme ou la situation déficitaire de l’une des sociétés, peuvent influencer le choix du régime fiscal. Le sens de la fusion, c’est-à-dire quelle société absorbe l’autre, peut aussi être déterminé en fonction de ces considérations fiscales.
IV) Principes de la directive européenne sur la fiscalité des fusions et opérations similaires
La directive européenne 90/434/CE du 23 juillet 1990, et ses modifications ultérieures, établit un régime fiscal commun pour les fusions, scissions, apports partiels d’actifs et échanges d’actions impliquant des sociétés de différents États membres. Cette directive vise à garantir la neutralité fiscale de ces opérations en matière d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu.
Elle a été amendée par la directive 2005/19/CE pour inclure des opérations comme la filialisation d’un établissement stable et la scission partielle. Elle a également été étendue pour couvrir les échanges d’actions renforçant une participation majoritaire. La directive 2013/13/UE a adapté le texte à l’adhésion de la Croatie, et la directive 2009/133/CE a codifié le texte original avec ses modifications.
La directive s’applique aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés dans l’Union Européenne, y compris divers types de sociétés françaises et les sociétés européennes régies par le règlement 2157/2001 et la directive 2001/86/CE.
Les opérations couvertes par la directive comprennent :
- La fusion, où une société transfère son patrimoine à une autre société en échange de titres et éventuellement d’une soulte en espèces.
- La scission, similaire à la fusion, mais le patrimoine est transféré à plusieurs sociétés.
- L’apport d’actif, où une société apporte une ou plusieurs branches de son activité à une autre société en échange de titres.
- Les échanges d’actions, où une société acquiert une participation majoritaire dans une autre société.
La directive vise à éviter l’imposition des plus-values d’apport, permettant à la société bénéficiaire de calculer les amortissements et plus-values de cession des biens apportés comme si elle était la société apporteuse. Elle stipule également que les actionnaires ne doivent pas être imposés sur la plus-value consécutive à l’échange de leurs titres.
Une « clause anti-abus » permet aux États membres de refuser ou retirer le bénéfice du régime de faveur aux opérations suspectées de fraude ou d’évasion fiscale, mais cette clause doit être interprétée strictement.
La directive a eu un impact sur la législation interne des États membres, notamment en limitant les conditions supplémentaires imposées pour l’application du régime de faveur aux opérations transfrontalières. Les États membres doivent appliquer la directive aux opérations concernant des sociétés de deux ou plusieurs États membres, sans distinction quant à la résidence des sociétés impliquées.
En résumé, les opérations de fusion sont des processus complexes qui nécessitent une compréhension approfondie des divers aspects juridiques et fiscaux. Que ce soit en termes de transmission universelle du patrimoine, de dissolution de la société absorbée, d’échange de droits sociaux, ou de législation applicable, chaque aspect revêt une importance capitale pour le succès de ces opérations.
De plus, les sociétés doivent naviguer avec prudence dans le choix entre le régime fiscal spécial et le régime de droit commun. Les décisions prises dans ce contexte peuvent avoir des conséquences significatives sur la santé financière et fiscale des entreprises impliquées.
Il est également essentiel de se conformer aux principes posés par la directive européenne pour assurer la neutralité fiscale des fusions, surtout dans le contexte des opérations transfrontalières.
Face à la complexité de ces enjeux et à la nécessité d’une analyse spécifique à chaque cas, nous invitons les entreprises envisageant une fusion ou une opération similaire à prendre contact avec notre commissariat à la fusion. Notre équipe d’experts est prête à fournir des conseils personnalisés et à accompagner les entreprises tout au long du processus, en veillant à optimiser les aspects fiscaux et légaux et à garantir le meilleur résultat possible.